Quel avenir pour les télévisions associatives ?

Université européenne des télévisions des pays et des quartiers

vendredi 16 novembre 2001 dans Médias du tiers secteur

Intervention de Dominique Baudis

Castres, le 16 novembre 2001

Mesdames, Messieurs
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui, à l’occasion de cette première Université européenne consacrée aux télévisions des pays et des quartiers.
Je tiens à saluer le travail et le dynamisme de votre fédération qui - depuis sa création en 1989 - fait avancer l’animation sociale de proximité et au renforcement des identités locales grâce à la télévision.

Cette rencontre entre praticiens de l’audiovisuel et chercheurs spécialistes du secteur revêt une importance particulière, à l’horizon de la télévision numérique de terre. Elle me permet d’aborder avec vous un thème d’actualité, porteur de promesses pour l’avenir : la place de la télévision locale associative dans le paysage audiovisuel français en devenir.

La télévision locale n’a pas véritablement réussi à trouver sa place dans le paysage audiovisuel français. Là où elle existe, elle remporte pourtant la faveur du téléspectateur, et la vigueur de cet intérêt pour l’information de proximité est attestée par plusieurs réussites dont témoigne l’audience rencontrée par nos trop rares télévisions locales. Néanmoins, aujourd’hui encore, cette télévision nouvelle, visiblement souhaitée et attendue par le public, peine à trouver sa place.
Notre paysage audiovisuel français ressemble davantage au paysage radiophonique des années 70 : une dominante généraliste qui s’impose et freine l’émergence d’une véritable télévision locale, forte d’une télévision associative solide.

Si pendant 50 ans, la télévision a été un formidable outil de connaissance et d’ouverture sur le monde, elle doit maintenant s’adapter aux attentes des téléspectateurs qui souhaitent bénéficier d’une autre télévision, plus familière, plus proche et plus authentique. Face à la mondialisation, le local apparaît comme un lieu d’enracinement, un refuge rassurant, créateur de lien social : à l’échelle locale, on se connaît, on se comprend.

La télévision locale peut renouer un lien social. Elle peut donc être un moyen efficace de nourrir une identité et une culture locale, aptes à consolider la citoyenneté de proximité. Et ce d’autant plus lorsqu’elle s’appuie sur des réseaux d’associations, impliqués dans cette vie locale.

La télévision associative est prometteuse, d’abord parce qu’elle est à même de répondre aux préoccupations des habitants, à leur besoin d’information, de service et de communication de proximité mais aussi de favoriser un large accès à l’expression sociale et citoyenne grâce à la « libre antenne ». S’inscrivant dans une démarche au service du public, elle peut offrir une tribune d’expression de proximité, permettre à la population mais aussi aux acteurs d’une région, d’échanger voire d’agir sur la vie en collectivité, ce que ne peuvent pas toujours assurer les télévisions commerciales. Bref, la télévision locale associative peut représenter une télévision « alternative » et « participative » face aux grands groupes de médias nationaux, qu’ils soient publics ou privés.

Ces possibilités permettent d’ouvrir une voie spécifique aux télévisions locales et en particulier associatives, se dégageant du modèle télévisuel dominant et contribuant au renforcement du sentiment d’appartenance locale.

En France, la télévision de proximité souffre d’un énorme retard par rapport à d’autres pays où la pratique de décentralisation, souvent plus ancienne, est une tradition plus familière. Sans évoquer le cas des Etats-Unis qui disposent de plusieurs milliers de chaînes de télévision locales, diffusées dans toutes les langues, ainsi que de nombreuses chaînes de télévision de quartier, à Los Angeles ou à New-York, un regard sur les voisins européens est instructif. En Allemagne ou en Italie, les systèmes audiovisuels se sont naturellement tournés vers le local et le régional : en Italie, les ondes se sont libérées par le local et en Allemagne, le local est constitutif de l’audiovisuel. L’Espagne et la Grande-Bretagne bénéficient aussi d’une télévision locale puissante et créative qui s’est d’abord développée sur une base régionale.

Des régimes juridiques applicables à la télévision locale qui varient selon les modes de diffusion mais qui demeurent contraignants, la rareté des fréquences hertziennes, le mode de financement restreint, tous ces éléments expliquent également ce retard qui entrave l’essor de la télévision locale associative.
Le premier frein qui explique en effet la faible présence de la télévision locale associative en France réside principalement dans le cadre juridique qui en a peu favorisé le développement. Très longtemps, la loi ne permettait de prendre en compte que de manière très exceptionnelle la vitalité du « tiers secteur audiovisuel », qui échappe à la fois aux cadres fixés aux télévisions commerciales et au service public. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communiquer réservait en effet aux seules « sociétés » la faculté d’exploiter des télévisions locales permanentes.

Pour donner, malgré tout, une place à des télévisions associatives, le CSA a utilisé l’article 28-3 de la loi du 30 septembre 1986, sur les autorisations temporaires qui stipule que « le CSA peut, sans procéder aux appels à candidatures prévus par l’article 29 ou l’article 30, délivrer des autorisations relatives à un service de radiodiffusion sonore ou de télévision par voie hertzienne terrestre pour une durée n’excédant pas six mois ». C’est donc grâce à cet article, que depuis 1990, le CSA a autorisé des expériences de télévisions temporaires hors appel à candidatures, émanant d’associations, sur des zones géographiques restreintes et pour des périodes limitées, la plupart étant destinées à couvrir un événement local spécifique. Plusieurs dizaines de télévisions associatives temporaires ont ainsi pu voir le jour : différentes « télévisions de quartier » et « télévisions de proximité urbaine » qui ont principalement valorisé les initiatives locales, les actions en faveur des populations et donné une image positive des quartiers ou des communes.

En réalité, la plupart des expériences audiovisuelles associatives se sont déroulées en dehors de tout régime juridique spécifique parce que les moyens de diffusion utilisés souvent restreints, vidéo, antennes collectives, réseaux câblés internes, ne sont assujettis à aucune contrainte juridique. Les télévisions locales temporaires mises à part, seules les expériences de télévisions locales distribuées sur des réseaux câblés conventionnées par l’instance de régulation relevaient d’un cadre juridique particulier. Le plan câble de 1982 qui fait de la télévision locale l’élément central de la câblo-distribution oblige en effet les opérateurs à créer des canaux locaux. Puis la loi du 30 septembre 1986 qui assouplit ce dispositif prévoit la possibilité pour le câble de réserver un canal à l’expression locale. Bref, grâce à ces différentes dispositions, une centaine de services locaux, de formats divers, existent aujourd’hui sur le câble, dans des villes ou dans des agglomérations moyennes, dont ¼ s’apparente au secteur associatif.

Mais compte tenu du modeste développement du câble dans notre pays, un seul foyer sur trois en bénéficie. La télévision hertzienne reste le meilleur moyen pour toucher un large public et pour démocratiser ce mouvement.

C’est pour remédier à cette situation de relatif blocage que la loi du 1er août 2000 a introduit des dispositions particulières, favorables au développement de la télévision locale associative. D’abord, les autorisations temporaires hors appel à candidatures, qui peuvent être délivrées, pour une diffusion hertzienne analogique, à des sociétés, à des associations et des fondations, voient leur durée allonger de six à neuf mois. Mais surtout - et c’est bien là l’ouverture juridique majeure - la loi donne la possibilité, pour les associations, d’exploiter une télévision locale permanente, dans le cadre de l’appel à candidature.
Souhaitée et soutenue par le Conseil, cette évolution qui donnent des perspectives légales au développement de la télévision associative, est décisive pour l’avenir du tiers-secteur audiovisuel, en particulier dans le cadre du développement des nouvelles technologies et de la télévision numérique de terre.

La technique évoluant, la rareté des fréquences laisse la place à une relative abondance, les réseaux câblés d’abord, puis les bouquets satellite qui offrent de plus en plus de place à toute une variété de chaînes thématiques et locales. La loi d’août 2000 rappelle d’ailleurs « la nécessité de développer les services de télévision à vocation locale » lors des procédures d’attribution de fréquences confiées au CSA, et de favoriser notamment la reprise des services locaux conventionnés sur les offres du câble et du satellite.
Le stade ultime de cette révolution technologique réside dans la numérisation de la télévision hertzienne de terre. La TNT qui permet de réserver un nouvel espace aux télévisions locales et notamment aux télévisions associatives ou de pays, constitue une chance formidable pour l’essor de la télévision locale et associative. Elle apporte en effet un progrès double, à la fois quantitatif et qualitatif : elle élargit les capacités de diffusion et diversifie l’offre en termes de programmes audiovisuels. Le CSA prévoit en effet 33 services de télévision, ce qui triple d’un seul coup l’offre télévisuelle gratuite ; cet impact est d’autant plus décisif qu’à termes 85 % de la population française pourra bénéficier de la TNT. Et c’est bien là un événement considérable lorsque l’on sait que plus des deux tiers des téléspectateurs qui ne bénéficient pas de systèmes de télévision payants doivent se contenter de 5 programmes après 20h.

Dans le cadre de la première planification de fréquences pour le numérique de terre, le 24 juillet dernier, le CSA a marqué une avancée concrète : il a décidé d’affecter des capacités nécessaires pour trois services locaux par zone couverte. En outre, ces canaux pourront être partagés par plusieurs opérateurs qui diffuseront leurs programmes selon des plages horaires déterminées. Ces canaux seront donc à même d’accueillir des télévisions associatives qui souhaitent rarement diffuser un volume quotidien de programmes de 24 heures. L’objectif du Conseil est de lancer un appel aux candidatures durant le premier semestre 2002, pour les services locaux. Cette première étape de planification annonce des aménagements plus ciblés qui permettront de définir des zones d’émission plus resserrée, propices à la télévision associative locale.

Par ailleurs, la convergence médiatique qu’implique la TNT mais aussi la baisse des coûts de diffusion qu’elle va permettre à termes, la possibilité de communication interactive, la qualité technique de la couverture vont offrir une plate-forme diversifiée de moyens d’expression locale. Télévisions locales, commerciales, associatives ou encore « d’accès public », décrochages locaux, télévisions de quartier ou temporaires, bref tous les projets favorables à la dimension de la proximité pourront se conjuguer et se compléter.

En vue de cette intégration progressive de la télévision de proximité dans notre paysage audiovisuel, le Conseil jouera son rôle. Selon les dispositions de la loi d’août 2000, il doit notamment s’assurer de la viabilité économique et des conditions d’exploitations des services de télévision locale présentés par les candidats. Malgré des moyens financiers plus restreints que ceux des opérateurs du secteur commercial, les télévisions associatives doivent être en mesure de couvrir l’ensemble de leurs charges pour assurer leur pérennité.

Des voies sont ouvertes, mais les acteurs de la télévision locale, associative ou non, sont dans l’expectative, dans cette période de mutation importante du contexte de leur développement. Et de fait, les modalités de financement, restent à établir :

- un équilibre à trouver entre le secteur des télévisions associatives et celui des télévisions locales commerciales ;

- un certain nombre de paramètres techniques à préciser : les zones d’émission et des bassins de population en fonction du service proposé, la répartition géographique des services locaux, la constitution de réseaux de télévisions associatives ;

- des problèmes de financement. Le secteur de la distribution demeure un secteur interdit à la télévision. Or il représente la ressource principale apte à garantir aux services de communication audiovisuelle locale un financement commercial. L’accès sous certaines conditions du secteur de la distribution à la publicité télévisé reste à définir ; et à délimiter pour les télévisions associatives qui souhaitent conserver leur indépendance par rapport aux pratiques commerciales des autres télévisions. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui s’accordent sur la légitimité et l’opportunité d’une participation financière des collectivités locales, comme cela se pratique en Belgique ou au Canada, mais aujourd’hui, la réglementation ne l’autorise que de manière restrictive. Les modalités d’intervention et de financement des télévisions locales doivent être clarifiées. Car elles peuvent être sources de problèmes divers, déboucher sur des situations de distorsions de concurrence, et nuire au pluralisme de l’information. Il semble donc qu’il faille impérativement encourager un financement diversifié de ces télévisions, seul garant de leur autonomie ;

- la création d’un fonds de soutien d’aide à la production locale, semblable à celui dont bénéficie le secteur radiophonique, a été réclamé à plusieurs reprises par le Conseil, depuis 1996. Vous savez tous ici que l’existence de ce fonds de soutien pour le secteur radiophonique, contribue à sa richesse et sa diversité. Les subventions permettent en effet aux radios associatives, qui ne font appel à la publicité que de manière marginale, de bénéficier de moyens d’existence. Les dispositions applicables au secteur de la radio associative, limitent les ressources publicitaires à 20 % du financement total. L’existence d’un tel fonds de soutien à la production locale, pourrait être repris pour le secteur de la télévision associative ;

- aujourd’hui d’ailleurs, les radios associatives, au nombre de 550, sont une réalité à part entière et leur vitalité s’affirme de jour en jour. A titre indicatif, le CSA a - au cours de l’année 2000

- autorisé ou présélectionné 40 projets associatifs de radio dont 19 nouveaux projets.

Face à ces interrogations, l’enjeu de la télévision locale rend plus indispensable que jamais l’activité de régulation. A l’heure de la mondialisation, le régulateur est là pour préserver les diversités et les identités culturelles. Certes, le marché doit être ouvert mais ce n’est pas le seul arbitre. L’action du CSA doit impérativement prendre en compte la réalité économique mais d’autre facteurs décisifs doivent aussi la guider, surtout si on veut que les télévisions associatives deviennent des acteurs à part entière de notre paysage audiovisuel.

Mais s’agissant de régulation en matière de TNT, tout reste à inventer : notre rôle dépendra en effet des contenus proposés par les différents opérateurs locaux, des supports utilisés et des synergies, des partenariats tissés entre les acteurs concernés. La tâche du CSA ne sera donc pas aisée même si, en tant que régulateur, il est à même de contribuer à la mise en place d’un cadre favorable à la télévision locale associative, de manière plus adaptée et plus souple, dans un monde audiovisuel en mutation. Comment encourager les initiatives et les innovations, favoriser la participation citoyenne et rendre ce développement possible et durable, sans nuire au pluralisme, ni créer de la fracture ou de l’exclusion ?

Le Conseil se refuse à trop anticiper mais quelques repères orientent aujourd’hui sa réflexion :

- la dimension locale devrait être portée en France par un volontarisme audiovisuel, à l’instar de ce qui s’est passé dans d’autres pays, d’autant que l’émergence en France de l’intercommunalité et des pays peut représenter autant de ferment d’identités nouvelles à construire ou à renforcer.

- Ce volontarisme peut venir des acteurs professionnels de la communication régionale qui paraissent vouloir s’engager dans une dynamique en direction de la télévision de proximité.

- Mais aussi des associations de proximité désireuses de s’investir dans la télévision locale. Elles ne manquent pas d’idées et lancent des initiatives diverses qui se traduisent par des réalisations originales menées, le plus souvent, avec le souci de la pérennité. Ainsi plusieurs regroupements de télévision locales soucieuses d’affirmer leur légitimité et de faire valoir leur intérêts auprès des pouvoirs publics se dessinent en fonction de différentes catégories de services : je pense notamment aux réseaux associatifs qui sont en train de se constituer et qui émergent même au niveau européen.

Le CSA reconnaît la vraie légitimité de la télévision locale associative, qui répond à l’exigence essentielle du pluralisme, et qui ne peut que servir la démocratie de proximité et la vie dans la cité. Ainsi le Conseil s’engage à porter une attention toute particulière à la création et au développement de ces jeunes télévisions et à leur confier de nouveaux espaces d’expression.

La télévision locale associative peut inventer un nouveau modèle de télévision capable de dynamiser l’identité collective ; mais l’intégration de ce nouveau modèle dans notre paysage audiovisuel exige que soient établies des conditions d’existence pérennes, claires et solides et implique une volonté commune associant législateur, régulateur, élus locaux, opérateurs et associations.

Pour l’heure, le CSA attend un rapport du gouvernement sur les possibilités de développement des « télévisions citoyennes de proximité », qui donnera lieu à un débat, que le Conseil espère instructif.

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