Etats des lieux quatre ans après la loi d’août 2000
juin 2004
mardi 15 juin 2004 dans Médias du tiers secteur
Essai d’analyse sur la situation des télés associatives
Quatre ans après la loi d’août 2000 qui « ouvrait » aux télévisions associatives la possibilité d’émettre, on pouvait s’attendre, comme en 1981 pour les radios associatives, à une explosion de projets divers sur l’ensemble du territoire français. Cela n’a pas été le cas.
Pourtant les progrès de l’informatique, du numérique ont considérablement baissé les coûts de fabrication des films vidéos rendant accessible à un plus grand nombre l’expression par l’image, le son et le montage.
Mais la « démocratisation » de cette forme d’écriture ne s’est pas transportée sur l’espace télévisuel.
Il y a sans doute plusieurs raisons. En voici quelques unes.
1) Méfiance envers le dispositif télévisuel.
La forme et le contenu des chaînes se sont tellement dégradés que cela ne donne pas envie d’en créer d’autres, on y perçoit une fatalité du média comme si c’était inscrit dans ses « gènes » : un inné de la télé.
Il y a aussi et surtout le rejet du rapport solitaire au poste de télévision, les risques d’un enfermement aliénant. A l’inverse, le dispositif des projections collectives pose un « être ensemble », et le « créateur » rencontre le public. Bon signe : ces diffusions se multiplient.
2) La politique toute économique du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.
Le CSA est chargé par le gouvernement d’attribuer les fréquences, de faire respecter la loi en ce qui concerne l’audiovisuel, de veiller à une application équitable, au pluralisme.
Dans les faits, apparemment nous ne mettons pas la même chose derrière ces mots.
Il n’y a qu’à suivre l’histoire récente de Zalea TV pour s’en rendre compte.
Cette télévision associative non commerciale, avec un dossier solide, pose sa candidature pour le réseau numérique terrestre au niveau national. Le CSA répond, veillant à l’équité face aux projets commerciaux : aucune télévision associative !
Il y a de cela quelques mois, Zalea redemande une autorisation pour diffuser sur Paris à partir de la Tour Eiffel. Sa dernière expérience a été un franc succès.
Trop subversive peut-être ?
Car cette fois-ci le CSA fait traîner sa réponse jusqu’à être hors délai puis refuse. Par contre, dans le même temps, il donne son autorisation à des associations cache-sexes de projets commerciaux ou institutionnels.
Zalea TV est une télé associative, d’opinion hors consensus, hors normes. Le CSA ne veut pas de ce genre là surtout couvrant tout Paris. Cela fait une tache dans le PAF. Le CSA préfère que l’on échange sur le toilettage pour chien ou bien autour d’intégration sage, que l’on parle de danse sans aborder la question des intermittents, que l’on développe le sujet de la recherche d’un boulot sans questionner le travail ou la précarité. Et puis une télé associative doit être d’une certaine proximité : pour le CSA il y a un mur entre devant sa porte et le reste de la planète, pourquoi parler de ce qui se passe à travers le monde ?
Tout en citant en exemple les quelques petites télévisions associatives à la guimauve (elles sont l’alibi de démocratie et d’ouverture) le CSA se démène pour rendre rapidement rentable économiquement les projets des télévisions commerciales « locales ».
En prévision du développement de la TNT en région (2007 ?), il ouvre des fréquences analogiques sur les grandes villes avec comme optique de favoriser les magnats (Bouygues, Dassault, Lagardère...), la constitution de réseaux de presse et les régies de publicité à l’échelle nationale.
En même temps il ouvre progressivement la publicité télévisée aux secteurs jusqu’à présent interdits d’antenne : presse, cinéma, édition et grande distribution. Il demande aussi d’exempter les chaînes locales des dispositifs anti-concentration, de donner la possibilité aux collectivités locales et régionales de contribuer aux télévisions hertziennes.
3) Ni fonds de soutien ni must carry pour les
télévisions associatives non commerciales.
Le must carry est ce qui permet au service public d’être diffusé gratuitement par ondes et sur le câble. Il oblige aussi les cablo opérateurs à diffuser toutes les chaînes gratuites publiques ou privées reçues sur son territoire.
Le mouvement des télés associatives demande en vain d’en bénéficier car pour couvrir une ville dans de bonnes conditions cela peut revenir très cher.
La création d’un fond de soutien, comme il en existe pour les radios associatives, a été abordée lorsque la gauche était au pouvoir puis jetée aux oubliettes. Il n’en est plus question.
4) Cela semble coûteux.
Dans l’idéal, le budget d’une télévision associative sur une ville comme Toulouse, émettant tous les jours et avec une dizaine de permanents, avoisine les 600 mille euros. Cela peut paraître beaucoup mais ce n’est pas grand-chose lorsque l’on compare cette somme à l’argent donné pour des opérations de prestige sans lendemain. C’est une miette par rapport à l’argent brassé par des chaînes privées ou du service public.
Il y a plein de paliers avant d’atteindre cet idéal. Hors investissement en matériel et sans loyer, le budget de Tv Bruits en 2003 a été grosso modo de 1300 euros pour émettre deux heures par jour durant trois mois et organiser de nombreuses projections publiques toute l’année. Ce n’est pas du luxe et tout repose sur l’énergie de bénévoles.
5) La parole, comme le savoir, est un pouvoir difficile à partager.
La parole, l’image, le son, leurs diffusions au plus grand nombre comme l’écrit sont un enjeu économique et un enjeu de pouvoir pour les grands groupes des finances et de la presse (une classe sociale) mais aussi pour ceux (une autre classe sociale, parfois la même) qui monnaient un « savoir faire » dans l’appareil médiatique afin de défendre les intérêts de leurs « employeurs ».
A une autre échelle, la diffusion d’idées, de visions du monde, d’analyses sont un enjeu pour différentes structures, syndicats, associations, individus... un enjeu de « pouvoir » si l’on veut propager sa pensée, gagner des adhérents, grossir, peser sur le devenir de la société. Pour cela il y a les tracts, les affiches, les journaux, meetings, colloques, radios, sites Internet. Ceux qui ont le « savoir faire » gagnent en reconnaissance dans leur milieu.
Mais faire une télévision associative, en apparence, c’est plus compliqué et plus lourd. Qui a appris à écrire à l’école avec des images et des sons ? De plus le CSA ne rend disponible que peu de fréquences.
Faire une telle télévision nécessite de se former, de s’associer, de créer un projet collectif ouvert, un lieu de partage et d’échange de la parole, de « partage d’un pouvoir ». Peu de gens sont prêts à s’engager dans cette dynamique. Ils auraient l’impression de diluer leur discours, de « rouler » en même temps pour d’autres.
C’est peut-être pourquoi il n’y a jamais eu autant de critiques des médias et si peu de passage à la pratique.
Pourtant, que peut donner une critique si elle n’est pas expérimentée, alimentée et vérifiée par une pratique ?
Réagir !
Le Parti de la Presse et de l’Argent, le PPA pour citer PLPL, aidé par le gouvernement et par le CSA va rapidement développer son réseau de télés dites locales car cela va devenir rentable.
Ils ont les télés nationales et ils auront les télés locales. Si l’on ne veut pas suffoquer il va falloir réagir vite, passer par-dessus nos différences et mettre la main à la pâte pour construire ensemble une nouvelle télévision : un outil d’émancipation et de création.